
Port du masque et l’exemption pour condition médicale : quelle est la responsabilité du commerçant?
Prétendre que les nouvelles règles sur le port du couvre-visage animent de vives discussions relève de l’euphémisme. Certains s’y prêtent volontiers et d’autres refusent en invoquant divers justificatifs, allant du simple inconfort qui en résulte ou, pire, une atteinte illicite à leurs droits fondamentaux.
En fonction des récentes consultations que nous avons eues avec nos clients, l’une de ces justifications semble être particulièrement problématique et fait naître encore plus de questionnements. Que doit faire un commerçant lorsqu’un client évoque une condition médicale pour justifier son refus de porter le couvre-visage dans un commerce ?
Pour répondre à la question, il y a lieu de se pencher sur le décret du 15 juillet dernier qui contraint les exploitants à exiger le port du masque ou couvre-visage de toute personne qui entre dans leur commerce. Sans entrer dans les détails, le concept de “commerce” est très large et englobe la vaste majorité des lieux commerciaux auxquels peut accéder le public.
LA RESPONSABILITÉ À L’EXPLOITANT
Vous avez bien lu. Ce décret impose aux commerçants cette obligation de contrôler le port du masque dans leurs établissements. Sauf exception, le décret interdit « à l’exploitant d’un lieu qui accueille le public d’y admettre une personne qui ne porte pas un couvre-visage ou de tolérer qu’une personne qui ne porte pas un couvre-visage s’y trouve. »
L’obligation se décline donc en deux volets pour le commerçant : (1) une personne admise doit porter le couvre-visage et (2) dans le cas où une personne entre sans autorisation, par exemple, le commerçant ne peut la tolérer à l’intérieur du commerce; on doit donc prendre les mesures raisonnables pour l’en expulser ou, du moins, contraindre celle-ci à porter le couvre-visage.
Soit dit en passant, la définition du couvre visage prévue au décret, impose aussi, selon nous, l’obligation de voir à ce que toute personne qui entre dans le commerce continue à porter convenablement le couvre-visage; c’est-à-dire « un masque ou un tissu bien ajusté qui couvre le nez et la bouche ».
Enfin, les exploitants qui ne respectent pas ces exigences sont passibles de peines allant de 400$ à 6000$.
LES EXCEPTIONS
Le décret prévoit neuf exceptions qui déchargent le commerçant d’exiger le port du couvre-visage. Depuis l’entrée en vigueur de cette mesure sanitaire, nous avons été particulièrement consultés pour l’une de celles-ci : la 2ième, soit l’exception qui permet à une personne d’être exemptée de porter le couvre-visage si « elle déclare que sa condition médicale l’en empêche. »
Évidemment, dans la plupart des cas entendus, il s’agissait de personnes qui déclaraient faire l’objet d’une telle condition médicale, mais qui refusaient aussi d’en donner le moindre détail, ce qui suscitait chez plusieurs un certain inconfort et beaucoup de questionnements. On nous demandait donc s’il fallait accepter ce refus et si on devait permettre à cette personne d’entrer dans le commerce sans porter le couvre-visage.
Par réflexe, on y voyait tout de suite une question de droits fondamentaux et de vie privée, mais nous sommes plutôt d’avis qu’en se concentrant ainsi sur l’arbre, on y perd la forêt.
Il ne fait aucun doute qu’une personne peut a priori refuser de dévoiler à un tiers une condition physique dont elle souffre. Nous ne nous attardons pas plus sur les circonstances exceptionnelles qui pourraient juridiquement justifier une atteinte raisonnable à ce droit.
LA SOLUTION SIMPLE
Nous préférons nous attarder aux « autres arbres dans cette forêt » : les employés qui travaillent et les autres clients qui fréquentent le commerce.
Quant aux employés, la Loi sur la santé et sécurité au travail impose à l’employeur, ce même commerçant, la lourde obligation de pourvoir à ses employés un lieu de travail et des « conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique ». Cette même loi permet à un employé de refuser d’y travailler « s’il a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger ». Le commerçant-employeur est donc pris entre deux feux, nous direz-vous. Pas nécessairement.
Nous estimons que le commerçant qui laisse entrer une personne dans son commerce qui refuse de se soumettre à une mesure sanitaire en temps de pandémie, cours un risque accru. Le fait que cette personne refuse, à bon droit par ailleurs, de dévoiler la nature de sa condition médicale ne fait qu’ajouter à ce risque. Nous estimons qu’il n’y a qu’un pas à franchir pour conclure que ce commerçant ne remplie pas ses obligations visant le maintien de la santé, la sécurité et l’intégrité physique de ses employés.
C’est particulièrement vrai en fonction du fait que, sauf exception, le client n’a pas un droit strict et immuable à visiter le commerce. Bien que cette solution ne soit pas parfaite, en refusant l’accès à cette personne, le commerçant s’acquitte beaucoup mieux de son devoir envers ses employés, tout en respectant le droit que cette personne invoque à l’égard de sa vie privée.
La situation est analogue pour les autres clients. Les règles fondamentales de notre droit prévoient que les commençants ont « le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui ». De toute évidence, ces règles de conduite impliquent non seulement le respect des dispositions du décret, mais aussi toutes autres mesures sanitaires raisonnables visant à assurer la sécurité d’autrui.
Il nous semble que refuser d’admettre un client dans son établissement qui n’accepte pas, pour quelque raison que ce soit, de se soumettre à une mesure sanitaire répond bien à cette obligation.
Évidemment, le commerçant qui faillit à cette obligation engage presque assurément sa responsabilité civile envers ses autres clients. Il est fort à parier que les enquêtes faites par les autorités permettant d’identifier rapidement les foyers de contagion pourront servir la cause du ou des clients infectés qui voudront poursuivre un commerçant imprudent en dommages-intérêts. Dans un tel cas, les dommages potentiellement exigés du commerçant délinquant ne se limiteront vraisemblablement pas à la peine de 400$ à 6000$ décrites plus haut.
Ainsi, pendant la pandémie, la solution pour le commerçant, bien qu’imparfaite, sera d’établir une politique claire par laquelle on refuse l’accès à toute personne qui évoque une condition physique pour justifier son refus de porter un couvre-visage. Dans les cas qui le permettent, il serait aussi approprié de trouver une autre façon de desservir le client auquel on refuse cet accès, par exemple, par commande en ligne ou par téléphone, livraison ou ramassage, commis dédiés…